Match d’impro : quand sport et théâtre se rencontrent


Crédits : Photo de Kéoma Oran sur Unsplash

 

Imaginez-vous assis dans une salle de théâtre, les lumières s'éteignent lentement, plongeant la scène dans l'obscurité. Puis, dans un éclat de lumière, vous découvrez la scène avec une structure rappelant une patinoire. Les comédiens montent sur scène, accueillis par des applaudissements enthousiastes, ils portent des maillots semblables au monde du hockey. Vous observez les comédiens se préparer comme le feraient des sportifs, encouragés par leur coach. Le premier thème est donné, les comédiens se lancent dans l’inconnu et vous happent par leur énergie tout en vous entraînant dans un voyage où la seule destination est l'imagination sans limites. Bienvenue à un match d’improvisation, une pratique de l’improvisation théâtrale inédite.

Improviser dans les règles

Souvent liée à la comédie, l’improvisation théâtrale n’a pas pour objectif de faire rire mais de raconter une histoire en collaboration (Fu, 2019). Là, où les acteurs de théâtre se servent de scripts ou de textes pour leur jeu, les improvisateurs n’ont aucun temps de planification ou de révision. Ils se doivent de respecter des codes bien définis et des contraintes (Landert, 2021). Sans accessoire, ni costume, les improvisateurs co-construisent une narration dans un temps limité, le public peut être impliqué pour apporter de l’inspiration.

Improviser implique le respect d’un cadre et de nombreuses règles pour une performance réussie. Le premier objectif d'un improvisateur est "d'être le plus utile possible à son partenaire de scène". Pour cela, il doit faire preuve d’une attention constante pour identifier les éléments utiles à la scène et ainsi soutenir la performance de l’autre (Felsman et al., 2020).

Un autre principe essentiel est la règle du "oui et ?", qui encourage les improvisateurs à accepter les idées de leurs coéquipiers et à les développer. En appliquant cette règle, les participants favorisent un environnement où chaque proposition est considérée comme une opportunité de construire ensemble, plutôt que de critiquer ou de rejeter. Cela crée une dynamique de jeu fluide et collaborative, où chacun se sent valorisé et où la créativité est encouragée (Bender, 2022).

Il existe dix principes fondamentaux dans l’improvisation : accepter, écouter, percuter, animer, construire, jouer le jeu, préparer, innover, s’amuser et oser (Tournier, 2003). La maîtrise des techniques et des conventions est donc nécessaire pour permettre une collaboration créatrice, offrant aux spectateurs une expérience inédite.

Des origines de la comédie à un art pour tous

Inspirée des atellanes romaines et par la suite de la Commedia dell’arte, l’improvisation théâtrale est utilisée comme un outil de formation de comédiens à la fin du XIXème siècle. Elle prend la forme d’un spectacle vivant qu’à partir du XXème siècle avec Viola Spolin et Keith Johnstone (Laroche, 2019).

Dans les années 1960-1970, à une époque où de nombreux québecois cherchent à créer une unité à part entière au sein du Canada, l’improvisation est un véritable outil d’écriture collective dans le monde artistique. Grâce au développement du concept de matchs d’improvisation en 1977, Gravek et Leduc démocratisent cette discipline, en empruntant les règles du hockey, véritable sport national. Ainsi, ils mettent à « l’avant-scène l’improvisation théâtrale qui jusque-là demeurait une discipline de recherche pour l’acteur » (Lavergne, 1987, p35, cité par (Laroche, 2019)) et la rende accessible pour tous. En 1981, le format de ces matchs arrive en France avec notamment la création de la première ligue d’improvisation française. D’autres ligues de professionnels et d’amateurs sont apparues par la suite sur l’ensemble du territoire, et se livrent à d’autres pratiques de l’improvisation théâtrale comme le cabaret, le spectacle en bar ou le catch d’impro.

Le match d’improvisation reste l’une des formes reconnues et devient même un outil pour des projets éducatifs. En 2010, sous l’impulsion de Jamel Debbouze et de la Fondation Culture & Diversité, le Trophée d’impro Culture et Diversité permet de rendre accessible l’improvisation théâtrale à des collégiens des zones prioritaires et rurales.

Les règles du match d’improvisation

Lorsque Gravek et Leduc ont créé les matchs d’improvisation, ils ont repris les codes et la structure du hockey pour que les spectateurs aient l’impression d’assister à une véritable compétition (Laroche, 2019) Les matchs d’improvisation sont rythmés par une cadence prédéfinie, reposant sur l’espace et le temps (Blonde et al., 2021).

L’espace de jeu scénique est délimité par une patinoire, sur laquelle s’affrontent deux équipes composées de jouteurs et d’un coach. Les jouteurs portent maillots et vêtements de sport, rappelant un match de hockey. Un maître de cérémonie gère le temps, tandis que l’arbitre est le maître du jeu. Ce dernier, habillé en zébré, peut donner des fautes aux jouteurs, voire les exclure, il est assisté de deux assistants. Ce cérémonial est important puisqu’il permet de créer un espace sécurisant favorisant la créativité, le jeu et les initiatives des jouteurs. De plus, un musicien est présent pour combler les moments de pause. Le public peut également lancer des pantoufles sur la patinoire pour montrer son désaccord envers la scène ou la décision de l’arbitre. Le format du spectacle se divise en une quinzaine d’improvisations variant au niveau de la durée et de la thématique abordée. L’arbitre impose et annonce la catégorie ainsi que les contraintes ou les procédés de jeu. Les jouteurs doivent donc prendre en compte ces consignes pour produire une improvisation. A la fin, le public vote pour l’équipe qu’il a préférée, celle qui a reçu le plus de votes remporte le point. A l’issue du match, l’équipe avec le plus de points gagne (Laroche, 2019).

Le match d’improvisation est donc le résultat de la rencontre entre le théâtre, le sport et l’art du spectacle. Si l’esprit de compétition peut être virtuellement retrouvé, le but est de pousser l’improvisateur à se dépasser pour créer une émulation, tout en favorisant la collaboration et l’écoute entre les deux équipes. Le plaisir des spectateurs et des jouteurs ne repose pas sur le résultat mais sur la qualité de l’improvisation élaborée conjointement.

Par ces valeurs de collaboration et de spontanéité, le match d’improvisation et plus généralement l’improvisation théâtrale devient un outil repris dans divers domaines (éducation, social, formation, entreprise…).

Marine JOUIN


Bibliographie

Bender M, Veenstra J, Yoon S. Improving interprofessional communication: Conceptualizing, operationalizing and testing a healthcare improvisation communication workshop. Nurse Educ Today. 2022 Dec;119:105530. doi: 10.1016

Blondé, M., Mortelier, F., Bourdin, B., & Hainselin, M. (2021). Teenagers Tell Better Stories After Improvisational Theater Courses. Front Psychol, 12, 638932.

Felsman, P., Gunawardena, S., & Seifert, C. M. (2020). Improv experience promotes divergent thinking, uncertainty tolerance, and affective well-being. Thinking Skills and Creativity, 35.

Fu, B. (2019). Common Ground: Frameworks for Teaching Improvisational Ability in Medical Education. Teach Learn Med, 31(3), 342-355.

Landert, D. (2021). The spontaneous co-creation of comedy: Humour in improvised theatrical fiction. Journal of Pragmatics, 173, 68-87.

Laroche, S. (2019). L’improvisation théâtrale comme outil au service de la communication interpersonnelle et de la culture organisationnelle : le cas du coaching dans les organisations par des improvisateurs en Belgique francophone[Master [120] en communication, Université catholique de Louvain (UCL)].

Tournier, C. (2011). 300 exercices d’improvisation et d’exploration théâtrale. Editions de l’eau vive.

Pour aller plus loin

Finale du Trophée d’Impro Culture et Diversité - 2023 : https://www.youtube.com/watch?v=7kaNNJUNxtw

Exemple d’une improvisation lors d’un match : https://youtu.be/LuXd9qw5BVg?t=36

IMPROFRANCE, association fédérant le réseau de l’improvisation : https://www.improfrance.fr